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vendredi 31 janvier 2014

Gentilshommes campagnards, de l'ancienne France.

Dans le spectacle historique nocturne : "Mademoiselle de La Motte-l'Insoumise" créé en 2013, la troupe Festi'Velles met en scène l'histoire d'une vieille famille aristocratique du village, les "de Boisé de Courcenay" en 1589, à la fin de la Renaissance, pendant les guerres de religion en Bas-Berry.

La consultation des archives a permis de découvrir dans le "bulletin du comité des travaux historiques et scientifiques, section des sciences économiques et sociales, Paris 1903" un rapport rédigé par Monsieur Ducrocq, relatif à l'ouvrage de P. de Vaissières " Gentilshommes campagnards de l'ancienne France"

La lecture de ce rapport est particulièrement intéressante et permet de mieux comprendre le mode de vie des principaux personnages du spectacle, issus de cette noblesse rurale et terrienne.

Voici le contenu de ce rapport :

" Cette étude présente un réel intérêt à la fois pour l'histoire de l'économie rurale et pour l'histoire du droit. Elle commence au XVI ième siècle et elle est divisée en deux périodes d'une durée très inégale et de caractères différents : l'une qui va du début du XVI iéme siècle jusqu'aux guerres de religion, l'autre qui va des guerres de religion  jusqu'à la Révolution.

L'auteur considère la première comme l'âge d'or de la noblesse.

Le seigneur demeure alors sur ses domaines ; de très vieilles traditions l'attachant à la campagne. En outre, il éprouve une vive aversion pour les communes qui se sont soustraites à sa domination.

A la ville, il se heurte à l'hostilité des bourgeois, et la vie lui coûterait trop cher pour tenir un rang parmi eux.

Au contraire, à la campagne, le noble vit largement parce qu'il n'est pas tenu au même train de maison et que l'agriculture est prospère.

Au XVI iéme siècle, la situation économique fut très favorable à ceux des gentilshommes campagnards qui cultivaient eux mêmes leurs terres, car le prix du blé s'éleva, mais non celui de la main d'œuvre agricole.

Mais la dépréciation des métaux précieux fut nuisible aux propriétaires dont les revenus avaient été fixés en argent par des contrats antérieurs perpétuels ou de longue durée  et telle était la situation d'une partie de la noblesse) : Ceux ci ne touchaient pas plus d'argent que jadis, et cette monnaie (d'après les travaux les plus récents et les plus autorisés) ne leur conférait plus dans la période 1551-1575 qu'un pouvoir d'achat moitié moindre.

En outre, l'on n'est riche que relativement, et il est incontestable qu'au XVI ième siècle, la fortune mobilière (industrielle, commerciale et financière) s'accrut beaucoup plus vite que la fortune territoriale.

Il y a lieu de penser que la décadence économique de l'aristocratie foncière remonte à une date bien antérieure aux guerres de religion et que, dans les trois premiers quarts du XVI ième siècle, elle s'accentue rapidement sans être cependant un fait accompli.

L'auteur voit encore une cause de la persistance de l'aisance matérielle chez les gentilshommes campagnards dans les traditions de communauté en vertu desquelles les frères restaient dans l'indivision à la mort du père de famille.

Ils évitaient ainsi l'émiettement du domaine que le seul droit d'ainesse n'aurait pu prévenir à raison de son insuffisance.

La noblesse campagnarde avait d'autres raisons de rester sur ses terres. Au XVI ième siècle, elle jouit parmi les populations rurales d'une autorité morale.

Son rôle miliaire lui confère un grand prestige : les gentilshommes ont conservé quelque chose de leurs fonctions administratives et judiciaires.

Enfin, ils ne jouissent pas seulement du respect que confère l'autorité, mais encore de l'affection qu'engendre le patronage exercé dans un esprit de sincère charité.

Ils secourent les pauvres et les malades ; ils s'associent aux fêtes familiales et aux fêtes villageoises des paysans ; ils ne rougissent pas de s'asseoir à leurs tables.

Ceux qui oppriment et maltraitent leurs manants sont la minorité ; d'ailleurs, les manants savent se défendre, se venger ou s'adresser à la justice royale pour faire condamner le coupable.

La condition du paysan sous l'ancien régime a été parfois dépeinte sous des couleurs trop sombres ; peut être l'est elle ici sous un aspect trop idyllique?

L'auteur a su faire revivre les personnages, qu'il défend avec tant de conviction. Il décrit leurs gentilshommières modestes et médiocrement confortables. Il les montre s'occupant très activement de la culture de leurs terres ; il raconte leurs mangeries et beuveries épiques ; leurs plaisanteries le plus souvent grossières, leurs récits graveleux, leurs aventures galantes, leurs querelles, leurs rixes après boire, leurs duels ou leurs batailles suscitées tantôt par des questions de point d'honneur, tantôt par des questions de préséances comme celles des honneurs de l'église.

Il y a dans cette partie de l'ouvrage toute une série de tableaux tracés avec une vigueur et une intensité de vie remarquables et d'après une très abondante et très sérieuse documentation.

Avec le chapitre II, commence la seconde période de l'histoire des gentilshommes ruraux. C'est l'histoire du déracinement d'une bonne partie d'entre eux, de leur émigration hors des campagnes, malgré les objurgations des agronomes et des moralistes qui cherchent à les retenir aux champs.

Ce n'est pas vers la ville qu'ils s'en vont, mais vers la Cour ; cet exode commence au XVII iéme siècle.

Les guerres de religion les ont déshabitués de la vie rurale ; elles les ont aussi appauvris, et dès lors, ils se tournent vers la Cour, où ils vont solliciter charges et pensions. Ils y sont également poussés par le goût du luxe qui les a envahis ; ils y sont attirés par la vie facile, pleine d'imprévus et de variété que l'on y mène ; par leur désir de gloire et de distinctions ; ils y sont attirés enfin par la politique royale qui s'efforce de réduire la noblesse au rôle  de décor pompeux rehaussant la majesté du monarque.

D'autre part, à cause des transformations survenues dans les institutions militaires, il ne leur est plus possible de concilier le métier des armes pour lequel, ils ont toujours un goût très vif, avec le séjour sur leurs terres ; la carrière militaire les astreint désormais à un service constant et d'une durée indéfinie. Ils ne peuvent revenir à leurs domaines qu'en se démettant de leurs grades.

En outre, ils n'ont plus dans les campagnes, le même prestige. Depuis l'organisation des milices, ils n'ont plus le privilège exclusif de porter les armes, ce qui les diminue aux yeux des paysans.

Ils ont maintenant perdu toutes les fonctions administratives et judiciaires ; le gouvernement central a entrepris de pourvoir seul à l'assistance publique ; les offices sont vénaux, donc adjugés au plus fort enchérisseur ; le seigneur ruiné ou à demi ruiné ne peut les disputer au bourgeois riche et avide de places.

Le noble qui reste à la campagne est condamné à végéter.

Ce chapitre est des mieux réussis ; les causes qui ont poussé les nobles, à quitter leurs terres, y sont magistralement exposées ; l'auteur y fait preuve d'une érudition très riche et du meilleur aloi.

Peut être cependant, aurait-t-il pu se demander si la noblesse rurale, privée de son rôle politique, n'avait pas encore un rôle économique à jouer : celui du grand propriétaire qui (soit qu'il fasse valoir lui même ses terres, soit qu'il les fasse cultiver par un métayer, soit qu'il les afferme) est l'initiateur du progrès dans les campagnes.

Ce role éducateur qui pouvait lui conserver son influence, elle ne l'a pas joué, sauf, comme le montre M. de Vaissières, dans les dernières années de l'ancien régime.

Elle ne le put sans doute pas, à cause des obstacles qui entravaient le progrès de l'agriculture. Ces obstacles sont indiqués sommairement dans le chapitre IV. C'était le régime fiscal qui faisait porter sur la terre, la plus forte partie  des impôts : bien que le seigneur ne payât pas la taille pour les terres nobles ni pour les terres roturières jusqu'à concurrence de deux charrues, ils ne souffrait pas moins indirectement du régime fiscal : pauvres fermiers, pauvres propriétaires.

C'étaient aussi les ravages continuels causés par les troupes ; ajoutez à cela que le gentilhomme,  après un long séjour à l'armée, retrouvait son habitation et ses bâtiments dans un état de complet délabrement et ses terres en friche.

Mais la longue décadence de l'agriculture eut une autre cause d'une très grande importance, sur laquelle il eut été bon d'appeler l'attention  :

La législation économique qui, pendant tant d'années, sauf au temps de Sully, sacrifia l'agriculture à l'industrie et au commerce, parce que ces deux formes de l'activité économique étaient considérées comme les facteurs prépondérants de la richesse des nations.

Quelques pages n'eussent peut être pas été de trop pour montrer l'influence exercée sur la condition des gentilshommes campagnards par la politique dite mercantiliste ou colbertiste et la police des grains.

La lecture de l'Ami des hommes, que l'auteur connait bien, aurait du attirer son attention sur ce point. Il aurait du être frappé par la violence avec laquelle, le gentilhomme agriculteur s'élève contre cette législation issue d'un engouement exclusif et mal entendu pour l'industrie et le commerce ; mieux comprendre la valeur de ces mots sans cesse répétés par le marquis de Mirabeau à l'adresse du  gouvernement : "aimez, chérissez l'agriculture".

Enfin, sur le mouvement de retour vers l'agriculture qui se produisit, dans les milieux officiels, à la fin du XVIII ième siècle, l'auteur aurait pu trouver plus d'un enseignement utile dans l'ouvrage, non mentionné par lui, qui a été publié en 1822 par un membre de la Section et dans lequel les procès-verbaux du comité d'administration de l'agriculture au contrôle général des finances, extraits des archives nationales, ont été reproduites.

On est surpris aussi de ne pas voir indiqué, le rapport existant entre le mouvement politique et la doctrine des physiocrates.

Le chapitre III montre comment, à la suite du "déracinement" d'une partie de la noblesse, celle ci se trouva scindée en deux classes antagonistes : l'une menant à la Cour, une vie fastueuse et frivole, l'autre vivant pauvrement sur ses terres.

La première méprisait la seconde qui fût ridiculisée par la littérature des XVII iéme et XVIII ième siècles. On trouvera sur ce point, dans le livre que nous analysons, la plus intéressante enquête.

Dans le chapitre IV, l'auteur s'efforce de réhabiliter ces gentilshommes campagnards des dernières années du XVIII ième siècle, dénigrés par la noblesse de Cour.

Ce n'étaient pas, dit il, des personnages inutiles ; ils consacraient une bonne partie de leur vie au service de leur patrie ; on les trouve sur tous les champs de bataille".

Ce n'étaient pas non plus des tyrans de campagne, ou du moins, ceux qui opprimaient les paysans étaient des exceptions ; l'ivrognerie et la débauche habituelles n'étaient, de même, le fait que de quelques uns.

La plupart étaient aimés des paysans qui, plus d'une fois, les défendirent ou essayèrent de les défendre contre les révolutionnaires.

Ici encore, il y a peut être un peu trop d'optimisme : il est certain pourtant que les seigneurs résidant sur leurs terres et dont certains ne différaient du populaire que par la dignité sociale, non par la condition économique, n'étaient pas ceux que détestaient les paysans et dont ceux ci incendièrent les châteaux.

En résumé, le livre de Monsieur de Vaissières, constitue une œuvre littéraire, pleine d'intérêt. On y trouve un souci constant de la forme, la recherche du pittoresque et de la couleur, un réel talent à évoquer de la poussière des textes, les figures animées des personnages dont l'auteur retrace l'histoire. Cet ouvrage constitue également une étude historique très sérieuse et d'un solide mérite ; nombres de pages sont écrites de première main, d'après des documents puisés dans les archives nationales".
                                                                                                                        Th DUCROCQ

Ce texte donne un éclairage tout à fait intéressant  sur cette aristocratie rurale, à laquelle appartenait la famille de Mademoiselle de La Motte. Les travaux que nous menons sur cette Maison, nous laissent penser que dans la phase de déracinement dont parle le rapport, Les Seigneurs de Boisé de Courcenay firent partie de la noblesse de Cour. Un document que nous publierons dans un prochain article, tend à le démontrer.

D'un siècle à l'autre.......

La troupe Festi'Velles réinvestira le théâtre de verdure des prairies de Velles, les 4-5-6-7 juillet prochains, pour présenter la nouvelle édition du spectacle historique nocturne : "Mademoiselle de La Motte-l'Insoumise", dans le cadre du "Festi'Lumière de Velles 2014".
(Tarifs-Billetterie-Réservations, voir la rubrique liens de ce blog)


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